Le nudge est un concept issu des sciences comportementales. Il se traduit en français par « coup de pouce ». L'expression reflète parfaitement le caractère non contraignant de cette approche qui se contente de guider les usagers vers le meilleur choix possible pour eux-mêmes et pour la collectivité. Sa mise en œuvre repose sur l'architecture du choix et l’art de présenter les options dans l’espace urbain.
Accompagner les prises de décision individuelles
Tâcher d’orienter l'individu vers un choix plus rationnel n’a rien de nouveau, mais la théorie du nudge a gagné en popularité et en crédibilité au cours des dernières années.
En 2017, le prix Nobel d'économie, accordé à Richard H. Thaler pour ses travaux en théorie de la finance comportementale, a donné une base solide à l'approche coup de pouce. Ses recherches ont pu montrer que les humains sont irrémédiablement influencés par des facteurs non rationnels dans leur prise de décision. Le professeur américain observe des biais cognitifs qui affectent notre jugement, en l'occurrence sur les questions financières, avec des impacts concrets sur l’orientation des marchés.
Ces mécanismes, pour la plupart inconscients, se retrouvent dans tous les domaines de la vie individuelle et collective. Il était donc essentiel d'en prendre la mesure et de considérer leurs effets sur les politiques publiques de la ville. À l’image des décisions économiques individuelles qui affectent l'orientation des marchés, les choix comportementaux des citoyens modifient la dynamique de la ville.
Comment fonctionne le nudge en politique de la ville ?
Partant du principe que nos décisions sont guidées par des ressorts émotionnels inconscients, l’approche coup de pouce consiste à utiliser ces mécanismes à des fins bénéfiques pour l’individu et pour la société.
Plutôt que de s’opposer à un biais cognitif solidement ancré, le nudge vient actionner des leviers psychologiques qui transforment un choix souhaitable en option désirable, voire irrésistible ! Pour réussir ce tour de force, il faut détourner l’objet de la décision.
Quelques exemples de nudges pour mieux comprendre
Ces quelques exemples de nudges permettent d'explorer les différentes ficelles de l'approche coup de pouce : le goût du challenge, le sentiment d'appartenance ou encore l’attrait pour le jeu et le divertissement.
La fausse mouche des urinoirs
La fausse mouche placée au fond de l'urinoir fait partie des actions coup de pouce les plus connues. Ce nudge a été mis au point dans les années 1990 par le responsable de l'entretien de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol afin de réduire les coûts d'entretien des sanitaires publics.
L’astuce repose sur le détournement de la fonction de l’objet w.c. L'usager ne cherche plus seulement à se soulager, mais à viser la mouche, ce qui évite les projections autour de la cuvette ou de l’urinoir. Le nudge actionne ici l’esprit de compétition et le goût du défi.
Le cendrier sondage dans l’espace public
Les cendriers publics font partie des aménagements incontournables de la propreté dans l’espace urbain. Pour éviter les jets de mégots au sol, la ville doit fournir une alternative à ceux qui n'auraient pas pris leur cendrier de poche.
Toutefois, la simple présence du cendrier ne suffit pas toujours à corriger le mauvais réflexe de la cigarette écrasée par terre. Le nudge agit ici en deux temps, il doit capter l'attention de l'usager (être à hauteur de vue, message clair et bien contrasté…) et poser une question à la fois légère et fortement engageante.
Un bon cendrier sondage doit attiser le sentiment d'appartenance à un groupe social en apportant son soutien à tel ou tel personnage public. Il peut aussi faire appel au rêve comme avec cette question : « Que préféreriez-vous ? Pouvoir voler ou être invisible ». L’effet challenge peut aussi être activé en posant une question de culture générale avec deux réponses possibles.
Les poubelles ludiques
Les poubelles sont l’autre mobilier urbain indispensable pour garder des espaces propres et accueillants. Pour créer un nudge à partir d'une corbeille de villes, la collectivité peut tout à fait conserver le mobilier existant ou installer de nouvelles poubelles modernes.
Ce qui compte ici, c’est l'architecture du choix, sa présentation dans l’espace urbain. Il s’agit d'un domaine de réflexion très sérieux pouvant avoir un impact significatif sur la gestion de la ville. Où se trouve la poubelle ? Qu’est-ce qui l'entoure ? Quels sont les potentiels freins et obstacles observés aux alentours ?
Le cheminement vers la poubelle doit être aussi attractif que possible. Parmi les solutions coup de pouce les plus populaires sur ces installations, on retrouve les marelles dessinées au sol. En plus d'attirer l'attention, elles nous proposent d’avancer de façon ludique jusqu'à la corbeille. La poubelle en hauteur façon panier de basket est un autre exemple de nudge testé au Havre.
Une approche sans contrainte
La grande force de la théorie du nudge est l’absence de contrainte. Les usagers sont naturellement attirés par la solution la plus bénéfique pour leur santé (privilégier l'escalier à l'escalator) ou pour le bien de la collectivité (écogestes, ramassage des déjections canines …).
La politique publique du coup de pouce respecte ainsi les libertés individuelles tout en favorisant les bons comportements. Les critiques de l'approche nudge dénoncent une méthode de manipulation pure et simple, comme celles employées dans le domaine de la publicité.
En théorie, un bon nudge se distingue de la manipulation publicitaire par son intention et par sa forme. Son objectif est orienté vers l'intérêt général et sa présentation reste transparente. C’est le cas dans les exemples que nous avons cités sur les poubelles ludiques. L’objet est certes détourné, mais sa fonction première n’est pas pour autant oubliée. Les usagers se sont prêtés au jeu, mais ils n’ont pas été trompés.
La création du nudge demande ainsi de l'inventivité associée à une bonne maîtrise des sciences comportementales. Sa mise en place requiert une réflexion éthique préalable pour une action publique à la fois efficace et transparente.